Leçon de vie

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Leçon de vie

Il y a beaucoup de jolies choses sur l’Internet. Des mots, des images et tout le reste.
Certaines publications se distinguent plus que d’autres…

Charlotte était une blogueuse de la version britannique du Huffington Post. Elle est décédée le 16 septembre d’un cancer de l’intestin. Avant de mourir, elle écrit un dernier article, qu’elle souhaite partager.
Les choses dites le plus simplement du monde sont parfois les plus poignantes.
Merci pour cette belle leçon de vie.

 

 

J’ai toujours été une bonne organisatrice. J’aime faire des listes, cocher les choses que j’ai accomplies et me fixer des objectifs. Je sais très bien entreprendre mais, pour tout vous dire, je me lasse facilement dès que l’enthousiasme initial est retombé.

Je n’ai, en revanche, pas eu la chance de me lasser du cancer. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut laisser de côté quand on ne se sent pas d’attaque. Il n’y a pas d’interrupteur pour les jours sans. En tout cas, pas pour moi. Depuis que j’ai été diagnostiquée, je suis allée à tous mes rendez-vous, faire tous les tests et tous les scanners qui m’ont été prescrits. J’ai essayé tous les traitements proposés, des thérapies médicales habituelles aux régimes à base de fromage blanc, en passant par l’acupuncture et les jus de kale. Le cancer fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Les vacances, les coupes de cheveux et les cours de pilotage d’hélicoptère ont été organisés en fonction de mes bons ou mauvais week-ends de chimiothérapie. Nous avons préservé nos enfants, Danny et Lu, témoins involontaires de ma maladie, mais leur enfance s’articule autour de mes différents traitements. Ils n’ont connu que cela mais j’ose espérer que ce sont des enfants plutôt bien dans leur peau et qui se sentent aimés.

Ce dont nous les avions protégés jusqu’à présent a dû leur être annoncé. Quelque temps après mon anniversaire, j’ai commencé à me sentir « un peu fatiguée ». Nous avons « fait un saut » à l’hôpital où j’ai subi la batterie de tests habituels. Malheureusement, la conclusion, confirmée par un scanner récent, était accablante. Fini, le plan d’action mensuel, suivi d’une période tampon d’environ deux mois sur la fin. Il ne me restait plus que quelques jours, voire deux semaines à vivre. Il n’était pas prévu que je reparte de l’hôpital mais j’ai réussi, je ne sais comment, à trouver la force de rentrer à la maison pour passer le peu de temps qui me reste avec mes enfants chéris et mon mari adoré.

On m’a installée dans le canapé pour que je puisse écrire cet article. Je ne souffre presque pas, et je m’active à mes petits projets: organiser mes funérailles et vendre ma voiture. Chaque matin, je suis heureuse de pouvoir embrasser mes petits et les serrer dans mes bras.

Quand vous lirez ces lignes, je serai morte. Rich s’efforcera de mettre un pied devant l’autre, de s’en sortir, un jour à la fois, sachant que jamais plus je ne me réveillerai à ses côtés. Il me retrouvera dans ses rêves mais, dans la lumière crue du matin, le lit sera vide. Il sortira deux tasses du placard avant de se souvenir qu’il est le seul à prendre du café. Lucy aura besoin qu’on l’aide à ouvrir sa boîte d’élastiques mais il n’y aura plus personne pour lui faire des nattes. Danny aura perdu un de ses policiers en Lego, et personne ne saura exactement lequel, ni l’endroit où il se trouve vraisemblablement. Vous attendrez le billet suivant sur mon blog. Il n’y en aura plus. Ceci est le chapitre final.

J’ai créé un trou béant, injuste, cruel et inutile à Halliford Road, mais aussi dans toutes les maisons, les pensées et les souvenirs des gens qui m’aiment, mes amis, ma famille. J’en suis désolée. J’aimerais être encore parmi vous, à rire, dévorer le dernier aliment miracle, parler de tout et de n’importe quoi. J’ai encore tant de choses à vivre, mais je sais que je ne les vivrai pas. Je voudrais être là quand mes amis ont besoin de moi, j’aimerais que nous puissions voir nos enfants grandir et devenir des vieux ronchons. Tout cela, j’en serai privée.

Mais ça n’est pas votre cas. Alors, en mon absence, je vous en supplie, profitez de la vie. Saisissez-la avec les deux mains, serrez-la fort, secouez-la et dégustez-en chaque seconde. Adorez vos enfants. Vous ne vous rendez pas compte à quel point vous avez de la chance de pouvoir leur crier de se dépêcher et de se laver les dents avant de les emmener à l’école.

Soyez là pour ceux que vous aimez et, s’ils sont incapables d’en faire de même, cherchez quelqu’un qui puisse être là pour vous. Tout le monde mérite d’aimer, et d’être aimé en retour. Ne transigez pas sur ce point. Trouvez un boulot qui vous plaît, mais n’en devenez pas l’esclave. On n’écrira jamais « Il aurait aimé travailler davantage » sur votre tombe. Dansez, riez et partagez des repas avec vos amis. Les vraies amitiés, honnêtes et solides, sont miraculeuses parce que nous les choisissons, au lieu de fonder notre loyauté sur des liens de consanguinité. Choisissez-les avec soin, et aimez-les du mieux que vous le pouvez. Entourez-vous de belles choses. Au milieu de la grisaille et la tristesse qui envahissent souvent nos existences, sachez repérer l’arc-en-ciel et en préserver le souvenir. Trouvez la beauté en toute chose, même s’il vous faut parfois y regarder d’un peu plus près.

Voilà, c’est à peu près tout ce que j’avais à dire. Je vous remercie du fond du cœur pour l’amour que vous m’avez témoigné et la gentillesse dont vous avez fait preuve pendant 36 ans. Depuis les chipies qui m’ont poussé dans les orties quand j’avais six ans aux veufs éplorés qui m’ont expliqué cette semaine ce que leurs femmes avaient fait pour préparer les enfants à leur disparition, sans oublier tous les autres. A leur échelle, ils m’ont tous aidé, et vous aussi, à devenir celle que j’ai été.

Je vous demande aujourd’hui de donner à Rich, mes enfants, ma famille et mes amis proches autant d’amour que vous m’en avez témoigné. Et ce soir, en fermant vos rideaux, choisissez une étoile. Je serai cette étoile, vous observant, tandis que je sirote une pina colada avec une boîte de chocolats de luxe.

Bonne nuit, adieu et que Dieu vous bénisse.

Charley xx

10 octobre 2014 | posted in Questions existentielles by
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